C’est la première qualité de ces pages qui s’impose : la simplicité, l’humilité même du chant, le dépouillement presque liturgique de l’écriture vocale, mais aussi la rugosité, l’âpreté de certains accords d’orgue, le jeu contrasté de la transparence du chant et de la violence passagère de l’accompagnement instrumental. Ne peut-on percevoir quelque chose du même genre dans le paysage de Rocamadour ? L’harmonie subtile des couleurs et la dureté inhumaine des rochers, le jeu savant des toitures et la masse des montagnes qui les entourent, les écrase ? Le sanctuaire de Rocamadour est profondément planté au cœur du roc, il semble en être une partie inséparable, comme s’il existait en cet endroit depuis toujours. Pareillement le chant des litanies semble si intimement lié aux paroles qu’il paraît être né avec elles.
Une écoute attentive de ces Litanies à la Vierge Noire – qui est la première œuvre religieuse dans le catalogue de Francis Poulenc – nous invite à nous interroger. L’œuvre respecte intégralement le texte des litanies proposé à Rocamadour. Ce texte suit le plan de toutes litanies : une invocation au Dieu Trinité ouvre la prière, puis suivent les litanies proprement dites que conclue liturgiquement l’invocation à l’Agneau de Dieu. L’écriture vocale est très simple : à trois voix, toujours verticale (tout le monde chante en même temps les mêmes paroles afin que chacun les comprenne), des harmonies consonantes dans un esprit évidemment liturgique. C’est une des qualités merveilleuses de Poulenc que de parvenir à des œuvres chorales d’une inimitable beauté écrite simplement dans une sorte d’évidence musicale.
C’est qu’avant de s’établir auprès des cours ibériques de Lisbonne puis Madrid, Domenico Scarlatti fut formé le plus sérieusement du monde par son père Alessandro, une gloire du baroque italien, qui l’aurait volontiers installé à Florence ou Venise. Il obtint ses premiers postes importants à Rome, à la cour de la reine Marie Casimir de Pologne, puis il travailla à Sainte-Marie Majeure aux côtés de son père et on le retrouve maître de chapelle à la chapelle Giulia à Saint-Pierre entre 1714 et 1719. C’est vraisemblablement à cette époque qu’il composa cet ambitieux Stabat Mater. Peu joué en concert et rarement enregistré, le Stabat Mater représente l’œuvre maîtresse de la production vocale de Scarlatti. Unique dans sa dimension et sa complexité d’écriture, il laisse supposer que le compositeur disposait de chanteurs pour le moins qualifiés. À la différence de la tradition polychorale alors en usage à Rome, les dix voix forment des parties indépendantes au sein d’un unique corpus sonore.
Plus près de la profession de foi et de l’adoration que de la déploration mariale, dans la tradition du dolorisme baroque, l’ouvrage possède une profondeur dramatique, une unité stylistique d’une grande richesse harmonique utilisant une belle variété de timbres. Si le texte médiéval de Jacopone da Todi a largement inspiré les compositeurs du XVIIIe siècle, la partition de Domenico Scarlatti se distingue de cette abondante production.
Jesu meine Freude, motet funèbre composé à Leipzig en 1723 par Johann Sebastian Bach est une œuvre à l’architecture magistrale faisant alterner les strophes du choral luthérien Jesu meine Freude (n° 1, 3, 5, 7, 9, 11) et des textes empruntés à l’épître de Paul aux Romains (n° 2, 4, 6, 8, 10), les deux textes s’éclairant mutuellement. Si le choral présente la mort comme une délivrance des souffrances du monde, l’épître insiste sur la nature spirituelle et non charnelle de l’homme. Tout le motet est organisé symétriquement autour de ce message central, chanté dans la double fugue (n°6). Selon une savante forme en arche, celle-ci est flanquée par deux groupes symétriques de trois pièces, formés de deux chorals figurés encadrant un trio (n°3, 4, 5 et 7, 8, 9), eux-mêmes entourés par deux pièces jumelles à cinq voix (n° 2 et 10) qu’encadrent enfin le premier et le dernier choral, dans leur sobriété verticale. A l’écoute, cette stupéfiante beauté formelle peut être éclipsée encore par la variété des types d’écriture, des atmosphères et la richesse expressive que Bach met ici en œuvre.
PROGRAMME
Litanies à la Vierge Noire de Rocamadour
Francis POULENC
Choeur de Femmes et Grand Orgue
Stabat Mater Dolorosa
Domenico SCARLATTI
Choeur à 10 voix & Continuo
Jesu meine Freude
Johann Sebastian BACH
Choeur à 5 voix & Continuo